L’engoulevent d’Europe  (Caprimulgus europaeus) est un oiseau migrateur venu d’Afrique, présent d’avril à Septembre dans nos contrées.

Un projet sylvicole résumé ici en quelques mots est à l’origine de ma découverte et de mon coup de cœur récent pour l’engoulevent, cet oiseau étrange, que si peu de gens connaissent aujourd’hui. Suite au colloque L’arbre et l’oiseau, organisé dans la forêt de la Bonne Foussie (Dordogne) en août 2011, j’ai décidé de consacrer une parcelle de 1ha 30 des bois à la plantation de 500 fruitiers forestiers, pour la plupart très appréciés des oiseaux (cormiers, alisiers, sorbiers, néfliers, pommiers, merisiers, poiriers…) mélangés à 1000 chênes sessiles1. Dès le printemps suivant, le terrain mis à nu par une coupe rase de taillis de châtaigniers dépérissants (opération préalable à la plantation) mais riche de ses 1500 arbustes, de quelques genêts également, a été choisi par un couple d’engoulevents qui, depuis, revient fidèlement chaque année, vers le 15 avril, pour nicher au cœur de cette parcelle et repartir ensuite, début septembre, pour l’Afrique où il passera l’hiver ! Curieusement, pourtant, l’engoulevent, premier habitant de ce Paradis des oiseaux, n’est pas amateur de baies ou de fruits puisqu’il se nourrit exclusivement d’insectes et de papillons de nuit.

Les « Acrobaties d’aviateur » de l’engoulevent a la tombée de la nuit

Caractéristiques de cet « étrange oiseau »

Par son aspect, ses comportements et son cri, l’engoulevent n’est pas un oiseau comme les autres. Il intrigue, fascine, justement par ses dissemblances qui ont retenu l’attention des écrivains, des poètes, souvent les plus grands. Ainsi, entre autres, André Gide qui découvre l’engoulevent à l’occasion d’un voyage en Afrique Centrale, dans sa montée vers le lac Tchad en 1927 :

Au crépuscule, j’ai vu voler presque au-dessus de notre case, un stupéfiant oiseau. Un peu plus gros         qu’un merle ; deux plumes, extraordinairement prolongées, formant de chaque côté comme un sorte               de balancier sur lequel il semble prendre appui dans l’air pour des acrobaties d’aviateur. 

André Gide

 Plus près de nous, le poète Philippe Jaccottet :

À huit heures, marchant dans les taillis, j’ai levé à deux pas, un engoulevent gris acier, aux ailes pareilles à des lames, il s’est envolé sans un cri, presque sans bruit aucun2.

Philippe Jaccottet, Seconde semaison, Paris, Gallimard, 1996.

Ou encore Claude Michelet :

C’est alors que, semblant jaillir du sol devant eux, l’ombre d’un oiseau avait virevolté vers le ciel,               pirouetté et aussitôt disparu en un froufrou de velours…On dirait un coucou ou une crécerelle, en plus           petit… 3

Claude Michelet, Des grives aux loups. L’appel des engoulevents, Robert Laffont, 1990.

Avec ces vols fantasques, entre jour et nuit, messagers du crépuscule, il se met en chasse une quinzaine de minutes après le coucher du soleil. Philippe Jaccottet, encore lui, souligne cette étonnante ponctualité :

9h45 L’engoulevent n’est donc ni diurne, ni nocturne et appartient ainsi à ces espèces ambiguës. Il ne      semble pas avoir peur de l’homme et son vol a un aspect provocateur, notamment lorsqu’il claque des    ailes au-dessus des visiteurs du soir. Ses cris plaintifs et lugubres en font un oiseau objectivement              fascinant, voire effrayant. Le cri, émis avant le vol, consiste en une sorte de ronronnement sourd le     bruit d’une mobylette. En vol, ses cris rappellent un coassement de grenouille et sont parfois                 accompagnés d’un claquement d’ailes chez le mâle. 

                Son habitat est improbable et exposé. Il affectionne les coupes rases ou les espaces semi-ouverts avec des zones buissonnantes, voire une végétation arbustive, de préférence entre 1 m et 3 m de hauteur, et des parties de sol nu. Il vole souvent à faible hauteur et ses pattes, très faibles, ne peuvent le porter. Aussi ne peut-il véritablement se percher sur les branches où il se pose sur le ventre. Il ne construit pas de nid mais niche à même le sol où les œufs (deux le plus souvent) sont disposés sur la terre, sans la moindre cuvette de nidification.

Quelle est l’essence arbustive préférée par l’engoulevent ? Selon Thomas Williamson qui l’a étudié en forêt domaniale de Moulière (Vienne) :

                Si la densité des mâles chanteurs reste relativement importante pour les peuplements de moins de          0,80 m, elle est moindre pour les peuplements ayant 3 à 6 m de hauteur et chute rapidement au-delà. À l’échelle de la carte des peuplements, ce phénomène s’observe sans distinction pour les          peuplements de pins et de chênes4.

                Par ailleurs, les engoulevents suivent souvent les bestiaux qui, lorsqu’ils se déplacent la nuit dans les hautes herbes, dérangent les insectes dont sont friands les engoulevents qui se nourrissent en vol, à la manière du martinet. Ils choisissent souvent les moments où les mouvements de l’air sont les plus faibles et les insectes abondants ce qui explique leurs « acrobaties » dans le ciel. Cette habitude de suivre les bestiaux leur a valu le surnom de « gobe-chèvre ». En italien, l’engoulevent s’appelle « succiacapre » (celui qui suce les chèvres !), en espagnol « chotacabra » ! Et Claude Michelet écrit « qu’il connaissait, il n’y a pas si longtemps, de braves gens qui croyaient, dur comme fer que les engoulevents venaient téter leur chèvre pendant la nuit5 ».

                                                                                                                              Jean Mottet

Quelques exemplaires d’engoulevents sont connus  au sud du massif d’Ingrannes (Fay-aux-Loges)  sur les espaces découverts  en bordure de foret, clairières et pinèdes très clairsemées. Seul le ronronnement monocorde du mâle trahit sa présence, bruit comparable à celui d’un cyclomoteur à moteur thermique. Cet oiseau nocturne nidifie à même le sol, parmi les branches mortes, son plumage mimétique lui permet  de se rendre invisible. Il est donc très difficile à observer. Sa technique de chasse pour attraper des insectes est de voler le bec grand ouvert, technique particulière à laquelle  il doit son nom. Il se  nourrit principalement  de papillons de nuit et autres insectes nocturnes.

Espèce en diminution, selon l’UICN (préoccupation mineure), suite à la modification de son habitat, aux changements de techniques sylvicoles et à l’utilisation des pesticides.

                                                                             Luc Lemaire et Julien Thurel

Notes

1 Pour une présentation de cette initiative comme pour le programme du colloque L’arbre et l’oiseau, on se reportera au site internet de l’association organisatrice : www.desirdeforet.fr

2 Philippe Jaccottet, Seconde semaison, Paris, Gallimard, 1996.

3 Claude Michelet, Des grives aux loups. L’appel des engoulevents, Robert Laffont, 1990.

4 Thomas Williamson, LPO Vienne, Patrick Moreau, ONF, Agence Poitou-Charente, RDV techniques hors-série, N°6,  2012, ONF.

5 Claude Michelet, op. cit, p. 47.

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